Effets neurophysiologiques de la puncture avec aiguilles sèches du muscle infra-épineux chez des individus souffrant de douleur chronique à l’épaule : une étude de faisabilité

Antoine Laramée, pht, M. Sc.1, récipiendaire d’une bourse de maîtrise – concours OPPQ 2020, Guillaume Léonard, pht, Ph. D.2, Mélanie Morin, pht, Ph. D.1, Mélanie Roch, pht, M. Sc., Ph. D. (c)1, Nathaly Gaudreault, pht, Ph. D.1

Date de mise en ligne : 2025

La présence de points gâchettes dans les muscles de l’épaule et de la ceinture scapulaire est fréquente chez les individus souffrant de douleur chronique à l’épaule(1). Ces points gâchettes sont associés à des douleurs locales ou référées, et peuvent compromettre la fonction ainsi que la qualité de vie des personnes touchées(1). La puncture physiothérapique avec aiguilles sèches (PPAS) peut être une avenue intéressante pour diminuer la douleur et augmenter les capacités fonctionnelles du membre supérieur à court terme chez cette population(2). Cependant, les mécanismes d’action pour expliquer ses effets cliniques demeurent incertains, notamment en ce qui concerne les effets neurophysiologiques potentiels de la PPAS(3).

Objectif

L’objectif principal de cette étude était d’évaluer la faisabilité de réaliser un essai clinique randomisé explorant les effets d’une seule séance de PPAS sur l’excitabilité corticospinale, lorsqu’appliquée sur un point gâchette du muscle infra-épineux (PGIÉ) comparativement à une PPAS simulée.

Méthodologie

Dans cette étude de faisabilité à double insu, 21 adultes (18 à 65 ans) souffrant de douleurs chroniques (> 3 mois) non traumatiques à l’épaule et présentant un PGIÉ ont été recrutés. Le PGIÉ devait reproduire une douleur 1) connue de la personne et 2) localisée dans le territoire associé au muscle infra-épineux(4). Les participants ont été randomisés pour recevoir 1) une PPAS réelle ou 2) une PPAS simulée au niveau du muscle infra-épineux. Afin d’assurer la sécurité de l’intervention, les personnes présentant de l’ostéoporose ou une atrophie excessive de la fosse sous-épineuse (infra-épineux < 10 mm), ou présentant un cancer ou des métastases des organes ou des tissus au-dessus du bassin (< 5 ans) ont été exclues. Afin d’assurer la sécurité des procédures expérimentales (contre-indications liées à la stimulation magnétique transcrânienne), les personnes présentant des troubles neurologiques, psychiatriques ou de l’épilepsie, ayant des implants métalliques ou électroniques, ou un antécédent de traumatisme crânien avec perte de conscience, ainsi que les femmes enceintes, ont également été exclues(5). De plus, nous avons écarté les personnes ayant une pathologie confondante avec la présence de points gâchettes : capsulite, fracture d’un os de l’épaule (< 6 mois) ou chirurgie de l’épaule, du thorax ou une mastectomie, et radiculopathie C4-C5 ou C6. Finalement, les personnes ayant déjà reçu un traitement de PPAS par le passé ont été exclues pour assurer l’insu des participants.

Variables de faisabilité : le taux de recrutement, le taux d’exclusion et de refus, la rétention des participants ainsi que les effets indésirables ont été recueillis.

Variables exploratoires d’effets : des données préliminaires concernant l’excitabilité corticospinale (seuil moteur actif) du muscle infra-épineux mesurée avec la stimulation magnétique transcrânienne (TMS)(6) ont également été colligées immédiatement avant (T1), immédiatement après (T2) et 24 h après (T3) l’intervention.

Procédures

Pour l’évaluation du PGIÉ et l’intervention ponctuelle, la personne était couchée en décubitus latéral du côté asymptomatique avec le membre supérieur symptomatique soutenu par un oreiller (muscles de l’épaule détendus) ainsi qu’en légère flexion (30 degrés) et en légère adduction horizontale (fibres du muscle infra-épineux légèrement étirées).

Pour la PPAS réelle : une aiguille jetable stérile (OPTIMED, non siliconée, calibre 40 mm x 0,30) était insérée dans le PGIÉ avec une direction légèrement oblique et dans le sens des fibres musculaires. Si nécessaire, une technique de pistonnage était utilisée pour provoquer une contraction musculaire locale. L’aiguille était ensuite immédiatement retirée.

Pour la PPAS simulée, le même type d’aiguille était inséré au même endroit et dans la même direction que le groupe PPAS réelle, mais en demeurant au niveau sous-cutané, à la profondeur du tissu adipeux superficiel. L’aiguille y était maintenue pendant quelques secondes sans aucune manipulation et était ensuite retirée.

Analyses

En plus des analyses descriptives (médiane et quantile), des tests non paramétriques ont été utilisés pour analyser les différences intra-groupe (tests des rangs signés Wilcoxon) et inter-groupes (tests de Mann-Whitney). Pour chaque participant, les scores delta ont été mesurés en soustrayant le score moyen de base (T1) du score moyen post-intervention (T2; T3), de sorte qu’une valeur négative indique une augmentation de l’excitabilité corticospinale.

Résultats

Les principaux résultats en lien avec l’objectif primaire de faisabilité sont d’abord présentés, suivis de certains résultats préliminaires concernant l’excitabilité corticospinale (voir Laramée et coll.(7) pour les résultats complets).

Faisabilité

Les résultats de faisabilité (Figure 1) attestent la capacité de recrutement dans des délais raisonnables (21 participants en 6 mois), le taux de rétention acceptable (90 %) et la sécurité de l’intervention (absence d’effets indésirables rapportés pour la PPAS); des pistes d’amélioration ont été proposées étant donné l’ensemble des effets indésirables liés à la procédure de la TMS (p. ex. accorder un temps de repos supplémentaire aux participants)(7). Il est intéressant de noter que 21 des 22 individus évalués ont présenté un PGIÉ (voir Laramée et coll.(7) pour la procédure de recrutement complète). Nous croyons que cette prévalence plus élevée que rapporté antérieurement(1) pour une population d’individus souffrant de douleur chronique à l’épaule appuie la pertinence d’utiliser des critères d’exclusion permettant d’écarter les pathologies confondantes pouvant occasionner des douleurs à l’épaule, mais n’étant pas associées à la présence d’un point gâchette (ex. radiculopathies)(2).

Figure 1: Diagramme de flux illustrant les variables de faisabilité

Excitabilité corticospinale

Les résultats préliminaires en lien avec l’excitabilité corticospinale sont présentés à la Figure 2. Aucune différence statistiquement significative n’a été observée entre les groupes. Dans le groupe PPAS réelle, une tendance vers une augmentation de l’excitabilité corticospinale (diminution du seuil moteur actif exprimé en pourcentage de la puissance maximale du stimulateur (%MSO)) a été observée immédiatement après l’intervention (p = 0.08), et une augmentation statistiquement significative a été observée 24 heures post-intervention (p = 0.04). Pour le groupe PPAS simulée, une augmentation de l’excitabilité a également été observée immédiatement après l’intervention (p = 0.03), mais celle-ci ne s’est pas maintenue 24 heures plus tard (p = 0.19).

Tableau 1: Résultats : excitabilité corticospinale (seuil moteur actif)

Messages à retenir

Les présents résultats montrent qu’il est possible de quantifier les effets de la PPAS sur l’excitabilité corticospinale (effet neurophysiologique). Bien que les PPAS réelle et simulée aient toutes deux augmenté l’excitabilité corticospinale, la temporalité de ces effets est foncièrement différente. Effectivement, alors que les effets de la PPAS simulée semblent diminuer à travers le temps, les effets de la PPAS réelle ont, à l’inverse, tendance à augmenter. Ensemble, ces résultats ouvrent de nouvelles pistes de compréhension et suggèrent que la PPAS pourrait potentiellement être utile pour modifier les altérations corticomotrices associées à la douleur chronique à l’épaule(6). Cette étude, en plus de fournir des preuves préliminaires de ces effets, démontre la faisabilité et appuie la pertinence de poursuivre l’investigation de ceux-ci et leurs implications cliniques.

Pour en savoir plus

Laramée A, Léonard G, Morin M, Roch M, Gaudreault N. Neurophysiological and psychophysical effects of dry versus sham needling of the infraspinatus muscle in patients with chronic shoulder pain: a randomized feasibility study. Archives of Physiotherapy. 2021;11(1). doi:10.1186/s40945-021-00118-x

Références

  1. Bron C, Dommerholt J, Stegenga B, Wensing M, Oostendorp RA. High prevalence of shoulder girdle muscles with myofascial trigger points in patients with shoulder pain. BMC Musculoskeletal Disorders. 2011;12(1):139. doi:10.1186/1471-2474-12-139
  2. Navarro-Santana MJ, Gómez-Chiguano GF, Cleland JA, Arias-Buría JL, Fernández-de-Las-Peñas C, Plaza-Manzano G. Effects of Trigger Point Dry Needling for Nontraumatic Shoulder Pain of Musculoskeletal Origin: A Systematic Review and Meta-Analysis. Phys Ther. Published online December 19, 2020. doi:10.1093/ptj/pzaa216
  3. Abbaszadeh-Amirdehi M, Ansari NN, Naghdi S, Olyaei G, Nourbakhsh MR. Therapeutic effects of dry needling in patients with upper trapezius myofascial trigger points. Acupunct Med. 2017;35(2):85-92. doi:10.1136/acupmed-2016-011082
  4. Simons DG, Travell JG, Simons LS. Travell & Simons’ Myofascial Pain and Dysfunction: Upper Half of Body. Lippincott Williams & Wilkins; 1999.
  5. Rossi S, Hallett M, Rossini PM, Pascual-Leone A. Safety, ethical considerations, and application guidelines for the use of transcranial magnetic stimulation in clinical practice and research. Clin Neurophysiol. 2009;120(12):2008-2039. doi:10.1016/j.clinph.2009.08.016
  6. Ngomo S, Mercier C, Bouyer LJ, Savoie A, Roy JS. Alterations in central motor representation increase over time in individuals with rotator cuff tendinopathy. Clinical Neurophysiology. 2015;126(2):365-371. doi:10.1016/j.clinph.2014.05.035
  7. Laramée A, Léonard G, Morin M, Roch M, Gaudreault N. Neurophysiological and psychophysical effects of dry versus sham needling of the infraspinatus muscle in patients with chronic shoulder pain: a randomized feasibility study. Archives of Physiotherapy. 2021;11(1). doi:10.1186/s40945-021-00118-x

Auteurs

Antoine Laramée, pht, M. Sc.1, récipiendaire d’une bourse de maîtrise – concours OPPQ 2020, Guillaume Léonard, pht, Ph. D.2, Mélanie Morin, pht, Ph. D.1, Mélanie Roch, pht, M. Sc., Ph. D. (c)1, Nathaly Gaudreault, pht, Ph. D.1

  1. Université de Sherbrooke, École de réadaptation – Faculté de médecine et des sciences de la santé, Centre de recherche du Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CRCHUS), 3001, 12e avenue Nord, Sherbrooke, Québec, Canada
    antoine.laramee@usherbrooke.ca
  2. Université de Sherbrooke, École de réadaptation – Faculté de médecine et des sciences de la santé, Centre de recherche sur le vieillissement (CdRV), 1036 rue Belvédère Sud, Sherbrooke, Québec, Canada
Antoine Laramée

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