Des physiothérapeutes en pharmacies communautaires pour mieux répondre aux besoins des personnes présentant des troubles musculosquelettiques : est-ce faisable ?

Joanie Bédard, M. Sc.1,2,3, récipiendaire d’une bourse de maîtrise – concours OPPQ 2021

Date de mise en ligne : 2025

Le Canada se classait, en 2017, parmi les dix pays qui présentent la plus haute prévalence de troubles musculosquelettiques (TMS), alors que 27,8 % de la population rapportait souffrir d’un TMS(1). Les TMS sont d’ailleurs la principale cause d’incapacité au pays(1).

Bien que les interventions proposées par les professionnels de la physiothérapie pour une prise en charge optimale des TMS soient soutenues par les données probantes(2), plus de 80 % des personnes qui souffrent d’un TMS consultent tout de même un médecin de famille en premier lieu(3). Selon les études, ces consultations médicales pourraient être évitées dans 72 à 97 % des cas(4), puisque les personnes présentant des TMS pourraient consulter un physiothérapeute en première ligne de façon sécuritaire et efficace.

Ce recours aux services médicaux comme première consultation peut s’expliquer, entre autres, par l’accès très limité aux services de physiothérapie publics en première ligne pour les personnes présentant des TMS(5). Il importe donc de tenter d’identifier des stratégies qui permettraient d’améliorer l’accès aux services de physiothérapie pour mieux répondre aux besoins de ces personnes, et ce, en dehors du cadre hospitalier usuel. Le modèle envisagé dans ce projet proposait l’intégration de professionnels de la physiothérapie au sein de pharmacies communautaires.

Les pharmacies communautaires ont été ciblées en raison de leur grande accessibilité : plus de 1 900 points de services dans la province(6), des heures d’ouverture étendues et un système de consultation sans rendez-vous qui permet à la population d’avoir réponse à ses questions de santé rapidement et efficacement. D’ailleurs, au cours des dernières années, des modèles de collaboration entre physiothérapeutes et pharmaciens ont été mis en place dans certaines pharmacies communautaires du Québec, mais les retombées de ces initiatives n’ont pas été documentées. Ces modèles de collaboration pourraient-ils contribuer à une meilleure réponse aux besoins des personnes présentant des TMS au Québec ?

Le premier volet de notre étude a permis d’analyser les perceptions de pharmaciens communautaires sur la physiothérapie, leur profil de pratique en lien avec les TMS et leur auto-efficacité à prendre en charge les TMS. Malgré un faible taux de réponse, les répondants (n = 69) à une enquête menée à l’été 2021 auprès des 7 123 pharmaciens communautaires propriétaires et salariés pratiquant dans la province de Québec ont fourni des réponses plutôt tranchées :

  • 91 % des répondants considèrent que la physiothérapie est efficace pour la prise en charge des TMS ;
  • 96 % considèrent que les pharmaciens et les professionnels de la physiothérapie pourraient bonifier leur collaboration ;
  • 94 % considèrent la physiothérapie plus efficace que les opioïdes pour la gestion des TMS ;
  • 99 % considèrent que l’approche pharmacologique devrait toujours s’accompagner d’interventions non pharmacologiques.

Cette enquête descriptive a également permis de mettre en lumière que bien que les TMS représentent 21 à 60 % des motifs de consultations quotidiens pour les trois quarts de nos répondants, ceux-ci se considèrent en majorité « peu » ou « pas du tout » confiants à faire des recommandations non pharmacologiques en lien avec le retour progressif aux activités (58 %) ou la prescription d’exercices (83 %).

Le premier volet de l’étude ayant confirmé la perception positive des pharmaciens communautaires quant à l’efficacité de la physiothérapie et ses bienfaits pour leur clientèle, le deuxième volet de l’étude a permis de recueillir les perceptions de divers acteurs clés concernant le modèle de services proposé. Vingt-sept professionnels de la physiothérapie et pharmaciens communautaires ayant ou non pris part à des initiatives antérieures de collaboration ont donc participé à des entrevues et des groupes de discussion, de même que des représentants des ordres et associations de chaque profession. Ces discussions de 60 à 90 minutes articulées autour des barrières et facilitateurs perçus par les participants ont permis de mettre en lumière les principaux enjeux associés à la mise en place d’un tel modèle.

La majorité des participants a souligné qu’il était peu probable qu’un modèle à organisation unique soit envisageable. En considérant la réalité des pharmacies communautaires, ces participants ont soutenu que le modèle pourrait être adapté à la réalité de chaque milieu en proposant différentes façons d’améliorer l’accès aux services pour les patients (p. ex. la téléconsultation, les consultations sur place ou la mise en place de corridors de services, et le référencement).

Pour ce qui est du financement du service, il n’a pas été possible d’imaginer un modèle qui serait rentable si les partenariats étaient formés entre les pharmacies et des cliniques privées et que le service était gratuit pour le patient. Certains participants ont soulevé une contradiction selon laquelle des remboursements sont actuellement offerts pour la médication (p. ex. les opioïdes), alors que la réadaptation demeure inaccessible pour bien des personnes, et ce même si les approches non pharmacologiques sont au cœur des lignes directrices de gestion des TMS.

La présente étude suggère que l’intégration de services de physiothérapie en pharmacies communautaires pourrait mener à des bienfaits à plusieurs niveaux, notamment :

  • Aider à répondre aux besoins de la population en temps opportun et avec des approches complémentaires efficaces ;
  • Valoriser la pratique communautaire en physiothérapie et en pharmacie ;
  • Éviter des consultations médicales inutiles et améliorer l’accès aux services de physiothérapie.

Des projets structurés ayant pour objectif de mesurer les impacts d’un tel modèle de partenariat entre les professionnels de la physiothérapie et les pharmaciens sont nécessaires pour clarifier la nature et les paramètres d’un éventuel modèle à adopter pour l’implantation. Ces projets pilotes permettraient d’évaluer la pertinence de déployer ce modèle à plus grande échelle.

Pour en savoir plus

Bédard, J. (2023). Collaboration au sein des pharmacies communautaires du Québec pour améliorer l’offre de services en physiothérapie arrimée avec les besoins de la population [mémoire de maîtrise, Université Laval]. CorpusUL. https://corpus.ulaval.ca/entities/publication/a892828f-4168-444c-b1b4-94ff20adfdc5

Références

  1. Kopec J.A., Cibere J., Sayre E.C., Li L.C., Lacaille D., Esdaile J.M. Descriptive epidemiology of musculoskeletal disorders in Canada : data from the global burden of disease study. Osteoarthritis and Cartilage. 2019(27):S92-S516.
  2. Lin I., Wiles L., Waller R., et coll. What does best practice care for musculoskeletal pain look like? Eleven consistent recommendations from high-quality clinical practice guidelines: systematic review. Br J Sports Med. 2020;54(2):79-86.
  3. MacKay C., Canizares M., Davis A.M., Badley E.M. Health care utilization for musculoskeletal disorders. Arthritis Care Res (Hoboken). 2010;62(2):161-169.
  4. Hussenbux A., Morrissey D., Joseph C., McClellan C.M. Intermediate care pathways for musculoskeletal conditions–are they working? A systematic review. Physiotherapy. 2015;101(1):13-24.
  5. Perreault K., Deslauriers S., Hébert L.J., et coll. Livre blanc sur l’accès aux services de physiothérapie au Québec : constats et cibles d’action pour mieux répondre aux besoins de la population. Québec (Qc). Octobre 2019.
  6. Ordre des pharmaciens du Québec. Rapport annuel. 2020-2021.

Auteurs

Joanie Bédard, M. Sc.1,2,3, récipiendaire d’une bourse de maîtrise – concours OPPQ 2021

  1. Centre interdisciplinaire de recherche en réadaptation et intégration sociale (Cirris)
  2. VITAM – Centre de recherche en santé durable
  3. CIUSSS de la Capitale-Nationale
Joanie Bédard

 

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