La mesure quantifiée de la force musculaire en physiothérapie : accessible, simple et précise!
Marika Morin, pht, M. Sc. A. PT, M. Sc.1,2, récipiendaire d’une bourse de maîtrise – concours OPPQ 2021, Luc J. Hébert, Fellow pht, Ph. D., CD2-4, Marc Perron, pht, M. Sc.3, Émilie Petitclerc, pht, M. Sc.4, Shanna-Rose Lake, T. phys.4, Elise Duchesne, pht, Ph. D.1,2,5,6
Date de mise en ligne : 2025
Introduction
La force musculaire est une variable clé en réadaptation puisqu’il s’agit d’un facteur déterminant pour le maintien des capacités fonctionnelles(1-3). L’évaluation de la force musculaire permet de préciser le diagnostic, guider le pronostic clinique des patients, suivre l’évolution de leur condition dans le temps, et évaluer l’efficacité des interventions proposées.
Pour que les cliniciens soient en mesure de porter un jugement juste et éclairé sur la présence ou non de faiblesses musculaires, ils doivent utiliser des outils de mesures qui présentent de bonnes propriétés métrologiques permettant l’obtention de mesures valides, fidèles et sensibles au changement. Différentes méthodes de mesure de la force musculaire peuvent être utilisées, mais certaines d’entre elles présentent des caractéristiques limitant leur utilité clinique. Par exemple, le bilan musculaire manuel, l’outil le plus couramment utilisé en clinique, est simple et rapide d’exécution, mais est très peu sensible aux changements de force musculaire des patients(4). À l’opposé, la dynamométrie isocinétique présente d’excellentes propriétés métrologiques et est considérée comme la mesure étalon pour l’évaluation de la force musculaire. Par contre, cet outil est peu accessible en raison de son coût excessif, de l’espace qu’il requiert et de la complexité de son utilisation.
Selon la littérature, les protocoles standardisés qui comportent l’utilisation de dynamomètres manuels (DM) portables avec jauges de contraintes permettraient d’obtenir rapidement des mesures quantitatives de force musculaire valides, fidèles et sensibles au changement. Toutefois, les propriétés métrologiques du DM n’ont été documentées que chez certaines populations, et que pour certains groupes musculaires(5-9). De plus, de nombreuses lacunes associées aux protocoles de mesure utilisés dans ces études limitent la validité de leurs résultats, telle que l’absence du contrôle de l’effet de la gravité et de la mesure du bras de levier. L’équipe de L. J. Hébert a donc élaboré une nouvelle procédure opératoire normalisée pour l’évaluation de la force musculaire maximale isométrique (FMMI) avec l’utilisation du DM MedupTM (Atlas Médic, Québec, Canada)(10) respectant les principes directeurs pour l’évaluation de la FMMI. Cette procédure pourra par la suite être utilisée pour le développement de valeurs de référence de la FMMI chez l’adulte, un besoin criant en réadaptation pour le suivi de certaines clientèles telles que les personnes souffrant de maladies neuromusculaires.
Objectifs
L’étude visait donc à documenter les propriétés métrologiques de cette procédure opératoire normalisée pour l’évaluation de la FMMI de 17 groupes musculaires des membres supérieurs et inférieurs chez des adultes en bonne santé. Plus spécifiquement, l’étude visait à évaluer la fidélité intraévaluateur et interévaluateurs, l’erreur standard de la mesure (ESM) et le changement minimal détectable (CMD) pour l’ensemble des groupes musculaires ciblés.
Méthodologie
Pour ce faire, 30 adultes âgés de 18 à 70 ans ont été recrutés. Les participants étaient exclus s’ils présentaient l’un des critères suivants : 1) pratiquer un sport à un niveau compétitif; 2) présenter une maladie dégénérative ou toute autre condition affectant le système neuromusculosquelettique; 3) avoir vécu un traumatisme ou avoir été atteint d’une maladie dans la dernière année pouvant influencer la génération de force musculaire et; 4) prendre de la médication ayant un impact sur la production d’une FMMI (p. ex. relaxant musculaire, analgésique, opioïde).
Le DM MedupTM (Atlas Médic, Québec, Canada)(10) a été utilisé pour l’évaluation de la FMMI des 17 groupes musculaires à l’aide d’une technique make-test, ce qui signifie que l’évaluateur devait maintenir le DM immobile pendant que le participant exerçait une force maximale contre celui-ci. Trois essais étaient réalisés de chaque côté pour chaque groupe musculaire, et 30 secondes de repos étaient allouées au participant entre les essais. Le bras de levier de chacun des segments a été mesuré afin d’obtenir des mesures de moment musculaire en newtons-mètres.
Afin de documenter les qualités métrologiques du protocole de mesure standardisé, la FMMI des 17 groupes musculaires a été évaluée chez un même patient, par deux évaluateurs, à trois temps de mesure différents : T1 (jour 1 : évaluateur 1), T2 (jour 5 : évaluateur 2) et T3 (jour 14 : évaluateur 1).
Les fidélités intraévaluateur et interévaluateurs ont été calculées à l’aide de coefficients de corrélation intraclasse (CCI), en comparant les mesures prises par le même évaluateur, à quatorze jours d’intervalle (T1 et T3); et en comparant les mesures prises par deux évaluateurs à cinq jours d’intervalle (T1 et T2), respectivement.
Les CCI ont été qualifiées selon l’échelle de cotation de Koo et Li(11) (< 0,90 = excellente, entre 0,75 et 0,90 = bonnes, entre 0,75 et 0,50 = modérées, et < 0,5 = faible). L’ESM et le CMD ont également été calculés à partir de ces mesures en utilisant les formules suivantes : ESM = ETcombinés × √(1-CCI), où ETcombinés est la moyenne des écarts-types calculés à partir des 6 essais (3 essais par session) de chaque participant; et CMD = 1,96 × ESM × √2, où 1,96 est dérivé de l’intervalle de confiance (IC) à 95 %(12).
Ces dernières mesures permettent de déterminer si les changements de force au fil du temps sont détectés de manière fidèle. L’ESM est un indicateur permettant de quantifier l’erreur de mesure, soit l’écart entre les valeurs obtenues lors de mesures répétées. Le CMD, quant à lui, se définit comme la plus petite différence au-delà de l’erreur de la mesure qui peut être considérée comme un réel changement entre deux temps de mesure (plutôt qu’une simple variation de la mesure). Il s’agit d’un indicateur avec une grande importance clinique, puisqu’il permet de déterminer à partir de quel niveau de changement on peut conclure à un changement significatif de la force musculaire.
Résultats
Les résultats de l’étude ont démontré des fidélités intraévaluateur et interévaluateurs allant de bonnes à excellentes pour l’ensemble des 17 groupes musculaires évalués, à l’exception des fléchisseurs du poignet et des rotateurs internes de la hanche, qui ont démontré une fidélité interévaluateurs modérée à excellente. Les CCI (IC 95 %) pour l’ensemble des groupes musculaires varient respectivement de 0,90 (0,79-0,95) à 0,99 (0,95-0,99), et de 0,89 (0,73-0,95) à 0,99 (0,98-0,99), pour la fidélité intraévaluateur et interévaluateurs. L’ESM et le CMD intraévaluateur varient entre 0,14 et 3,20 N m et entre 0,38 et 8,87 N m, respectivement. L’ESM et le CMD interévaluateurs, pour les mêmes groupes musculaires, varient respectivement entre 0,17 et 5,80 N m, et 0,47 et 16,06 N m.
Discussion
Les résultats démontrent que la procédure opératoire normalisée utilisée dans cette étude permet d’obtenir des mesures fidèles, comportant de faibles erreurs de mesure, pour l’ensemble des 17 groupes musculaires, et ce, tant au niveau intraévaluateur qu’interévaluateurs. L’utilisation de cette procédure permet donc une meilleure détection des changements de force musculaire au fil du temps chez une même personne, et même lorsque les mesures sont prises par des évaluateurs différents.
Conclusion
La procédure opératoire normalisée développée par notre équipe est une méthode fidèle pour l’évaluation de la FMMI, et son utilisation devrait être encouragée auprès des cliniciens. Ainsi, cette étude est de portée provinciale, nationale et internationale puisque les qualités métrologiques identifiées dans ce projet pour la mesure de la FMMI par dynamométrie manuelle permettront de poursuivre avec la détermination de valeurs de référence chez l’adulte à partir de la procédure proposée.
Pour en savoir plus
Morin, M., Hébert, L.J., Perron, M. et coll. Psychometric properties of a standardized protocol of muscle strength assessment by hand-held dynamometry in healthy adults: a reliability study. BMC Musculoskelet Disord 24, 294 (2023). https://doi.org/10.1186/s12891-023-06400-2
Références
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- Buckinx F, Croisier JL, Charles A, et coll. Normative data for isometric strength of 8 different muscle groups and their usefulness as a predictor of loss of autonomy among physically active nursing home residents: the SENIOR cohort. Journal of Musculoskeletal & Neuronal Interactions. Sep 1 2019;19(3):258-265.
- van der Vorst A, Zijlstra GA, Witte N, et al. Limitations in Activities of Daily Living in Community-Dwelling People Aged 75 and Over: A Systematic Literature Review of Risk and Protective Factors. PLoS One. 2016;11(10):e0165127.
- Petitclerc É, Hébert LJ, Mathieu J, Desrosiers J, Gagnon C. Relationships between lower limb muscle strength impairments and physical limitations in DM1. Journal of Neuromuscular Diseases. 2018;5(2):215-224.
- Arnold CM, Warkentin KD, Chilibeck PD, Magnus CR. The reliability and validity of handheld dynamometry for the measurement of lower-extremity muscle strength in older adults. The Journal of Strength & Conditioning Research. 2010;24(3):815-824.
- Buckinx F, Croisier JL, Reginster JY, et coll. Reliability of muscle strength measures obtained with a hand‐held dynamometer in an elderly population. Clinical Physiology and Functional Imaging. 2017;37(3):332-340.
- Hébert LJ, Maltais DB, Lepage C, Saulnier J, Crête M, Perron M. Isometric Muscle Strength in Youth Assessed by Hand-held Dynamometry: A Feasibility, Reliability, and Validity Study. Pediatric Physical Therapy. 2011;23(3):289-299.
- Kolber MJ, Cleland JA. Strength testing using hand-held dynamometry. Physical Therapy Reviews. 2005;10(2):99-112.
- Petitclerc É, Hébert LJ, Mathieu J, Desrosiers J, Gagnon C. Lower limb muscle strength impairment in late‐onset and adult myotonic dystrophy type 1 phenotypes. Muscle Nerve. 2017;56(1):57-63.
- Atlas Medic. Ensemble complet – Dynamomètre linéaire électronique portatif avec tous ses accessoires. (n.d); https://atlasmedic.com/shop/product/kit-015-ensemble-complet-dynamometre-lineaire-electronique-portatif-avec-tous-ses-accessoires-25217. Accessed 2023-01-26.
- Koo TK, Li MY. A Guideline of Selecting and Reporting Intraclass Correlation Coefficients for Reliability Research. J Chiropr Med. 2016;15(2):155-163.
- de Vet HC, Terwee CB, Mokkink LB, Knol DL. Measurement in medicine: a practical guide: Cambridge University Press; 2011.
Marika Morin, pht, M. Sc. A. PT, M. Sc.1,2, récipiendaire d’une bourse de maîtrise – concours OPPQ 2021, Luc J. Hébert, Fellow pht, Ph. D., CD2-4, Marc Perron, pht, M. Sc.3, Émilie Petitclerc, pht, M. Sc.4, Shanna-Rose Lake, T. phys.4, Elise Duchesne, pht, Ph. D.1,2,5,6
- Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), Département des sciences de la santé, Chicoutimi, Québec, Canada
- Groupe de recherche interdisciplinaire sur les maladies neuromusculaires (GRIMN), Centre intégré universitaire de santé et des services sociaux (CIUSSS) du Saguenay–Lac-Saint-Jean, Jonquière, Québec, Canada
- Université Laval, Faculté de médecine, Département de réadaptation, Québec, Canada
- Centre interdisciplinaire de recherche en réadaptation et intégration sociale (CIRRIS), Centre intégré universitaire de santé et des services sociaux (CIUSSS) de la Capitale-Nationale, Québec, Canada
- Centre intersectoriel en santé durable (CISD), Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), Chicoutimi, Québec, Canada
- Centre de recherche Charles-Le Moyne (CRCLM), Sherbrooke, Québec, Canada

Les ressources présentées ont fait l’objet d’une évaluation selon plusieurs critères méthodologiques. Pour en savoir plus sur le processus de sélection des ressources, consultez la méthodologie.
Les physiothérapeutes et technologues en physiothérapie sont invités à utiliser avec discernement ces ressources dans le cadre de leurs activités professionnelles.