Tenir compte de la représentation des individus en incapacité au travail suivant un trouble musculosquelettique : les défis !
Patricia Godbout, pht, candidate au doctorat 1,2,3, récipiendaire d’une bourse de maîtrise – concours OPPQ 2022, Marie-France Coutu, psy, Ph. D.1,2,3, Marie-José Durand, erg, Ph. D.1,2,3
Date de mise en ligne : 2025
Introduction et objectif
Les professionnelles et professionnels de la physiothérapie sont les cliniciennes et cliniciens les plus fréquemment impliqués auprès des individus absents du travail à la suite d’un trouble musculosquelettique (TMS), suivis des ergothérapeutes(1). L’implication simultanée en physiothérapie et en ergothérapie auprès d’une même travailleuse ou d’un même travailleur serait par ailleurs en augmentation(2). L’influence de l’ensemble de ces cliniciennes et cliniciens sur les trajectoires de soins des travailleuses et travailleurs apparaît ainsi significative(3).
Cependant, les professionnelles et professionnels de la physiothérapie ont nommé se sentir insuffisamment outillés pour la prise en charge des facteurs de risques psychologiques des travailleuses et travailleurs blessés(4). Or, il s’agirait d’une compétence professionnelle essentielle à développer pour favoriser le retour au travail et la réadaptation(5). Afin d’assurer une action concertée auprès des travailleuses et des travailleurs, les pratiques des professionnelles et professionnels de la physiothérapie et des ergothérapeutes bénéficieraient d’être harmonisées en regard de la reconnaissance des facteurs psychologiques.
Une cible d’intervention de réadaptation recommandée est la représentation de la travailleuse ou du travailleur(6). La représentation réfère à l’ensemble des croyances et des perceptions qu’un individu entretient sur sa condition de santé(7). La représentation peut expliquer certains comportements moins bien adaptés à la situation d’incapacité au travail(8). Ainsi, il apparaît essentiel de considérer la représentation des individus dans les interventions de réadaptation. Cette étude visait à explorer les défis des professionnelles et professionnels de la physiothérapie et des ergothérapeutes à tenir compte de la représentation des individus absents du travail suivant un TMS.
Méthodes et résultats
D’abord, les composantes de la représentation à prioriser dans les interventions de réadaptation ont été identifiées. Pour ce faire, les scores de 297 travailleuses et travailleurs en incapacité au travail suivant un TMS ayant complété le Questionnaire validé des représentations liées à l’incapacité au travail(9) ont été analysés. Pour la majorité des travailleuses et travailleurs, trois des neuf composantes de la représentation devaient être priorisées dans les interventions: les perceptions en regard des conséquences sévères, des symptômes fluctuants et imprévisibles, et des émotions négatives importantes. Ces composantes ont entre autres été présentées à des cliniciennes et cliniciens lors d’entrevues individuelles subséquentes. Les entrevues ont permis d’explorer leurs défis à tenir compte de la représentation dans leurs interventions.
Les physiothérapeutes (n = 4), les technologues en physiothérapie (n = 4) et les ergothérapeutes (n = 6) interviewés étaient principalement des femmes (9/14) exerçant en clinique privée (11/14) dans un contexte de travail multidisciplinaire (12/14). Le nombre d’années d’expérience variait d’un an et demi à plus de 24 ans. Les principaux défis d’intervention rapportés portaient sur deux patrons de représentations reprenant, entre autres, les composantes identifiées comme des priorités d’intervention.
Le premier patron incluait la perception de symptômes fluctuants et imprévisibles sur lesquels la travailleuse ou le travailleur percevait un faible sentiment de contrôle. Cela nourrissait des émotions négatives importantes, et la travailleuse ou le travailleur se retrouvait alors dans un état d’impuissance. L’impuissance était associée à un manque d’engagement en réadaptation.
Le second patron incluait des croyances ancrées dans une cause biomédicale de la problématique musculosquelettique, occasionnant de faibles attentes d’efficacité du traitement et un faible sentiment de contrôle personnel. Ce patron générait de la résistance face aux interventions, et était également perçu comme une barrière à l’engagement en réadaptation.
Les résultats de cette étude indiquent que les cliniciennes et cliniciens éprouvent parfois des difficultés à tenir compte de la représentation de la travailleuse ou du travailleur, afin que l’intervention offerte ait du sens à ses yeux. Par exemple, devant l’impuissance de la travailleuse ou du travailleur, l’intervention privilégiée consistait à hausser le sentiment de contrôle sur la douleur. La présence d’émotions négatives importantes amenait toutefois la travailleuse ou le travailleur à gérer principalement sa détresse émotionnelle plutôt que le problème de santé lui-même. Un écart entre l’intervention offerte et la représentation de la travailleuse ou du travailleur semblait ainsi persister. Face à la résistance de la travailleuse ou du travailleur, les cliniciennes et cliniciens désiraient changer la représentation biomédicale de l’individu à l’aide d’outils éducatifs sur la neurophysiologie de la douleur ou sur les facteurs psychosociaux qui influencent la douleur. Cette intervention paraissait toutefois peu cohérente avec la représentation biomédicale de la travailleuse ou du travailleur et ne favorisait pas l’engagement au traitement offert.
Implications cliniques
La représentation de la travailleuse ou du travailleur peut engendrer de l’impuissance et de la résistance en réadaptation. Ces situations constituent des défis importants pour les cliniciennes et les cliniciens. Dans ce contexte, il est essentiel de tenir compte de la représentation pour que l’intervention de réadaptation proposée ait du sens aux yeux de la travailleuse ou du travailleur. Une étude en cours vise à développer une intervention transdisciplinaire pour tenir compte de la représentation des individus en incapacité au travail suivant un TMS, qui pourra être offerte par les professionnelles et professionnels de la physiothérapie et les ergothérapeutes au Québec.
Pour en savoir plus
Godbout, P., Coutu, M.-F., & Durand, M.-J. (2025). Intervention challenges experienced in physiotherapy and occupational therapy with workers’ pain and disability representations: A mixed methods study. Journal of occupational rehabilitation. MEDLINE with Full Text. https://doi.org/10.1007/s10926-025-10272-9
Références
- Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail. Statistiques annuelles 2022 – version finale. 2023.
- Camiré V. Rapport du président du Groupe de travail. Groupe de travail chargé de faire des recommandations concernant le régime québécois de santé et de sécurité du travail; 2010.
- Hudon A, et coll. Mapping first-line health care providers’ roles, practices, and impacts on care for workers with compensable musculoskeletal disorders in four jurisdictions: A critical interpretive synthesis. Am J Ind Med 2019;62:545‑58.
- Hudon A, et coll. Tensions Living Out Professional Values for Physical Therapists Treating Injured Workers. Qual Health Res 2019;29:876‑88.
- St-Georges M, et coll. Competencies for Physiotherapists Working to Facilitate Rehabilitation, Work Participation and Return to Work for Workers with Musculoskeletal Disorders: A Scoping Review. J Occup Rehabil 2022;32:637‑51.
- Coutu MF, et coll. Clinician-patient agreement about the work disability problem of patients having persistent pain: why it matters. J Occup Rehabil 2013;23:82‑92.
- Leventhal H, et coll. The Common-Sense Model of Self-Regulation (CSM): a dynamic framework for understanding illness self-management. J Behav Med 2016;39:935‑46.
- Coutu MF, et coll. Health and illness representations of workers with a musculoskeletal disorder-related work disability during work rehabilitation: a qualitative study. J Occup Rehabil 2011;21:591‑600.
- Albert V, et coll. Internal consistency and construct validity of the Revised Illness Perception Questionnaire adapted for work disability following a musculoskeletal disorder. Disabil Rehabil 2013;35:557‑65.
Auteurs
Patricia Godbout, pht, candidate au doctorat 1,2,3, récipiendaire d’une bourse de maîtrise – concours OPPQ 2022, Marie-France Coutu, psy, Ph. D. 1,2,3, Marie-José Durand, erg, Ph. D. 1,2,3
- École de réadaptation, Faculté de médecine et des sciences de la santé, Université de Sherbrooke
- Centre de recherche Charles-Le Moyne, Université de Sherbrooke
- Centre d’action en prévention et réadaptation de l’incapacité au travail (CAPRIT), Université de Sherbrooke

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