Approches de physiothérapie en lombalgie chronique : une étude de faisabilité

Amélie Desgagnés, pht, M. Sc.1, récipiendaire d’une bourse de maîtrise – concours OPPQ 2021, Claudia Côté-Picard, pht, Ph. D. (c)1, Alain Gaumond, pht, M. Sc.2, Pierre Langevin, Fellow pht, Ph. D.1, Mathieu Piché, D. C., Ph. D.3, Gabrielle Pagé, psychologue, Ph. D.4, Anne-Marie Pinard, M. D., M. Éd.1, 5, Yannick Tousignant-Laflamme, pht, Ph. D.5,6, Hugo Massé-Alarie, pht, Ph. D.1

Date de mise en ligne : 2025

Introduction

La lombalgie non spécifique est la première cause d’incapacité dans le monde(1). La majorité de l’incapacité reliée à cette condition concerne les personnes atteintes de lombalgie chronique et qui présentent un haut risque de mauvais pronostic(2). Le risque de mauvais pronostic (bas, modéré ou haut) est estimé à l’aide du questionnaire STarT Back(3), qui dépiste les principaux indicateurs pronostiques en lien avec la lombalgie (douleur à la jambe, douleur comorbide, incapacité, inconfort, catastrophisation, peur, anxiété, dépression, impact global).

Comme un haut risque de mauvais pronostic est associé à une forte contribution des facteurs psychosociaux, la physiothérapie informée par la psychologie pourrait être plus efficace que la physiothérapie usuelle chez cette population(4). Toutefois, lors de la réalisation d’essais cliniques randomisés évaluant l’efficacité de ces deux approches de physiothérapie, d’importants problèmes d’implantation ont été rencontrés, notamment au niveau de l’adhérence des physiothérapeutes à l’intervention(5, 6).

Objectif

Déterminer la faisabilité d’un essai clinique randomisé portant sur l’efficacité de la physiothérapie informée par la psychologie, comparativement à la physiothérapie usuelle, chez les personnes atteintes de lombalgie chronique présentant un risque élevé de mauvais pronostic selon l’outil de dépistage STarT Back, et évaluer l’efficacité exploratoire des interventions.

Méthodes

Une étude de faisabilité a été conduite. Des personnes atteintes de lombalgie chronique et présentant un haut risque de mauvais pronostic au questionnaire STarT Back ont été recrutées à partir des listes d’attente de l’Institut de réadaptation en déficience physique de Québec et du Centre d’expertise en gestion de la douleur chronique du Centre hospitalier universitaire de Québec – Université Laval, ainsi que du Consortium québécois sur la douleur au dos et de l’Université Laval. Ces personnes ont été randomisées en deux groupes selon l’approche utilisée, soit la physiothérapie informée par la psychologie ou la physiothérapie usuelle. Une formation de deux jours était effectuée en ce qui concerne la physiothérapie informée par la psychologie.

Les interventions consistaient en 8 rencontres de 30 ou 45 minutes sur 11 semaines. La faisabilité a été évaluée selon l’efficacité des stratégies de recrutement, l’adhérence au traitement, le risque de contamination et les défis spécifiques. L’établissement préalable de critères de succès pour chaque variable d’intérêt a permis de déterminer la faisabilité du projet.

L’efficacité exploratoire a été estimée en évaluant la capacité fonctionnelle (Oswestry Disability Index), la douleur (échelle visuelle analogique de la douleur), la qualité de vie (12-Item Short-Form Health Survey), la kinésiophobie (Tampa Scale of Kinesiophobia), la catastrophisation (Pain Catastrophizing Scale), la sensibilisation centrale (Central Sensitization Inventory) et l’auto-efficacité (Chronic Pain Self-Efficacy Scale) à 0, 6, 12 et 24 semaines après l’inclusion à l’étude.

Physiothérapie informée par la psychologie

Cette approche est basée sur quatre composantes :

  • la communication centrée sur le patient ;
  • la modulation de la douleur ;
  • les compétences pour faire face à la douleur ;
  • les recommandations d’activités et d’exercices (7).

Plus spécifiquement, la physiothérapie informée par la psychologie intègre les interventions usuelles en physiothérapie à des interventions informées par l’approche cognitivo-comportementale comme l’entretien motivationnel, la prise de décision partagée, la respiration profonde, la relaxation musculaire progressive, les techniques de gestion du rythme de l’activité, l’éducation sur les facteurs biopsychosociaux contribuant à la douleur et à l’incapacité, la pleine conscience, le renforcement positif, l’exposition graduelle et l’activité progressive(4).

Résultats

Quarante participants ont été recrutés principalement par diffusion de l’annonce de recrutement en utilisant la liste de courriels de l’Université Laval, et dix physiothérapeutes ont traité les participants recrutés. Le taux de rétention des participants à 24 semaines était de 72,5 % pour les deux groupes. L’adhérence au traitement des participants et des physiothérapeutes était très bonne. Le risque de contamination était faible, et les problèmes spécifiques identifiés étaient modifiables. Une amélioration significative au fil du temps de toutes les variables cliniques d’intérêt, à l’exception de l’auto-efficacité, a été observée, sans différence entre les groupes.

Discussion

Deux enjeux ont été identifiés, soit le suivi des participants à 24 semaines et la représentativité des participants en raison du haut niveau d’éducation de l’échantillon. L’efficacité exploratoire, qui ne peut conclure sur l’efficacité ou la non-efficacité des interventions étudiées en raison du devis utilisé, suggère une absence de différence entre les groupes. Cette absence de différence pourrait s’expliquer par une intensité de formation insuffisante, par les seuils non élevés de la majorité des participants aux questionnaires unidimensionnels psychosociaux, ou encore par la présence de plusieurs facteurs pronostiques favorables dans l’échantillon étudié. Ce projet de recherche contribue donc à l’étude de la physiothérapie informée par la psychologie comme traitement alternatif potentiel des personnes atteintes de lombalgie non spécifique chronique présentant un haut risque de mauvais pronostic au Québec.

Conclusion

La plupart des critères de réussite ayant été satisfaits, la réalisation d’un essai clinique randomisé évaluant la physiothérapie informée par la psychologie et la physiothérapie usuelle s’avère possible avec des modifications simples (stratégies pour minimiser le taux d’attrition, retrait de la douleur neuropathique des critères d’exclusion, et ajout d’un journal de bord pour mesurer l’adhérence du participant au traitement). La physiothérapie informée par la psychologie et la physiothérapie usuelle semblent avoir une efficacité similaire sur les variables d’intérêt étudiées.

Pour en savoir plus

Desgagnés A., Côté-Picard C., Gaumond A., Langevin P., Piché M., Pagé G., Pinard A.M., Tousignant-Laflamme Y., Massé-Alarie H. Efficacy of a Psychologically-Informed Physiotherapy Intervention in Patients with Chronic Low Back Pain at High Risk of Poor Prognosis: A Pilot and Feasibility Randomized Controlled Trial. Physiother Can. 2024 May 8;76(2):163-174. https://doi.org/10.3138/ptc-2023-0038

Références

  1. GBD 2017 Disease and Injury Incidence and Prevalence Collaborators, Lancet, 2018. 392(10159): p. 1789-1858.
  2. Hartvigsen, J., et coll., Lancet, 2018. 391(10137): p. 2356-2367.
  3. Hill, J.C., et coll., Lancet, 2011. 378(9802): p. 1560-71.
  4. Ballengee, L.A., L.L. Zullig, et S.Z. George, J Pain Res, 2021. 14: p. 3747-3757.
  5. Cherkin, D., et coll., J Gen Intern Med, 2018. 33(8): p. 1324-1336.
  6. Delitto, A., et coll., EClinicalMedicine, 2021. 34: p. 100795.
  7. Main, C.J. et S.Z. George, Phys Ther, 2011. 91(5): p. 820-4.

Auteurs

Amélie Desgagnés, pht, M. Sc.1, récipiendaire d’une bourse de maîtrise – concours OPPQ 2021, Claudia Côté-Picard, pht, Ph. D. (c)1, Alain Gaumond, pht, M. Sc.2, Pierre Langevin, Fellow pht, Ph. D.1, Mathieu Piché, D. C., Ph. D.3, Gabrielle Pagé, psychologue, Ph. D.4, Anne-Marie Pinard, M. D., M. Éd.1,5, Yannick Tousignant-Laflamme, pht, Ph. D.5,6, Hugo Massé-Alarie, pht, Ph. D.1

  1. Centre interdisciplinaire de recherche en réadaptation et intégration sociale (Cirris), Université Laval, Québec, Canada
  2. Base militaire de Valcartier, Shannon, Canada
  3. Chaire de recherche internationale en santé neuromusculosquelettique, Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), Trois-Rivières, Canada
  4. Centre de recherche du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CRCHUM), Université de Montréal, Montréal, Canada
  5. Centre d’expertise en gestion de la douleur chronique, Centre hospitalier universitaire de Québec – Université Laval (CHUQ-UL), Québec, Canada
  6. Centre de recherche du Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CHUS), Université de Sherbrooke, Sherbrooke, Canada.
  7. École de réadaptation, Faculté de médecine et des sciences de la santé, Université de Sherbrooke, Sherbrooke, Canada
Amélie Desgagnés

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