Quel est l’impact des facteurs psychologiques sur la biomécanique du mouvement chez les personnes souffrant de lombalgie chronique ?
Patrick Ippersiel, pht, Ph. D., FCAMPT, récipiendaire d’une subvention OPPQ-REPAR, concours 2019
Date de mise en ligne : 2025
La douleur modifie les mouvements
La douleur peut servir de mécanisme de protection, en incitant à protéger une région perçue comme blessée(1). Chez les personnes souffrant de lombalgie, des comportements tels que la diminution des mouvements de la colonne vertébrale, l’augmentation de la co-contraction des muscles du tronc, le resserrement de la coordination interarticulaire, et la réduction de la variabilité du mouvement sont censés refléter des comportements moteurs protecteurs. Il est important de noter que l’on pense que ces comportements provoquent une charge tissulaire anormale pendant le mouvement, et peuvent provoquer des douleurs pendant les programmes de rééducation basés sur l’exercice physique. Ensemble, ces éléments compliquent la récupération, contribuant ainsi à la persistance de la douleur et de l’invalidité chez ces gens(1). Les raisons pour lesquelles ces comportements protecteurs persistent dans le temps ne sont toutefois pas claires.
La lombalgie est une affection biopsychosociale, et l’examen du mouvement sous cet angle peut nous éclairer(2). Les changements moteurs chez les personnes souffrant de lombalgie sont divers. Par exemple, les travaux antérieurs ont établi un lien entre les changements moteurs et la douleur/nociception, les lésions tissulaires, et la plasticité du système nerveux(3). Au niveau cognitif, des processus tels que la menace liée à la douleur ont été proposés comme motivation pour maintenir des comportements moteurs protecteurs. La menace liée à la douleur peut être conceptualisée par les idées de peur associée à la douleur (kinésiophobie) ou de catastrophisme de la douleur (réponse cognitive irrationnelle à la douleur).
Bien que ces facteurs soient couramment rencontrés par les cliniciens dans leur pratique quotidienne, de nombreux thérapeutes ne se sentent pas préparés à aborder ces facteurs et se sentent plus à l’aise pour gérer l’aspect « physique » des blessures. Comprendre l’influence des facteurs psychologiques sur les facteurs physiques peut contribuer à combler cette lacune et aider les cliniciens à prendre en charge la lombalgie dans une perspective intégrée.
Existe-t-il un lien entre la menace liée à la douleur et le comportement moteur protecteur ?
Notre équipe a complété une revue de la littérature qui a examiné la relation entre la menace liée à la douleur et le comportement moteur protecteur chez les personnes souffrant de lombalgie chronique. Notre méta-analyse (21 études) a conclu que les personnes qui ressentaient une plus grande menace étaient plus susceptibles de présenter une mobilité réduite de la colonne vertébrale et une plus grande activité des muscles du tronc. Ces caractéristiques étaient particulièrement évidentes pendant les tâches basées sur la flexion (se pencher, soulever des charges)(4). En d’autres termes, les personnes qui éprouvent une plus grande peur ou un plus grand catastrophisme envers la douleur sont plus susceptibles d’adopter des comportements en lien avec la protection de leur colonne vertébrale.
Ensuite, nous avons comparé des personnes en bonne santé à (i) des personnes souffrant de lombalgie chronique et ayant un faible niveau de catastrophisme à l’égard de la douleur et (ii) des personnes souffrant de lombalgie chronique et ayant un niveau élevé de catastrophisme à l’égard de la douleur(5). Par rapport aux personnes en bonne santé, nous avons observé une plus grande co-contraction du tronc (abdominaux et extenseurs spinaux) pendant le lever des charges chez les personnes souffrant d’une lombalgie avec catastrophisme de la douleur, mais pas chez les personnes souffrant d’une lombalgie avec peu de catastrophisme de la douleur. À première vue, cela suggère que toutes les personnes souffrant de lombalgie ne présentent pas un comportement moteur protecteur, ou que le catastrophisme de la douleur peut influencer ce comportement de manière différentielle.
Enfin, nous avons examiné la coordination entre la hanche et la colonne vertébrale pendant le lever des charges chez des personnes souffrant de lombalgie chronique(6). Là encore, nous avons observé qu’en moyenne, les personnes souffrant de catastrophisme étaient plus susceptibles d’adopter une stratégie de coordination plus rigide et plus prudente entre leur hanche et leur colonne vertébrale. Il est intéressant de noter que les analyses exploratoires ont révélé l’existence d’un sous-groupe de personnes souffrant de lombalgie et ayant un faible niveau de catastrophisme qui ne présentaient pas ce comportement. Cela suggère que le catastrophisme peut possiblement aider à différencier les stratégies de contrôle chez les gens souffrant de lombalgie.
Implications pour les cliniciens
Dans l’ensemble, ces travaux montrent que les cliniciens doivent tenir compte de l’interdépendance entre la menace liée à la douleur et le mouvement lorsqu’ils traitent des personnes souffrant de lombalgie. Pour un clinicien qui se concentre sur le traitement d’un comportement moteur problématique, négliger l’influence possible de la menace liée à la douleur par rapport au mouvement peut mener à ignorer des obstacles clés qui risquent de compliquer la reprise de l’activité physique.
De la même façon, les cliniciens qui adoptent une approche d’exposition graduelle au mouvement redouté (par exemple, soulever une charge) peuvent négliger les contributions du comportement moteur protecteur, et ainsi manquer une occasion d’améliorer l’efficacité du traitement en considérant la qualité du mouvement en tandem avec les principes de l’exposition graduelle. Pour ce faire, il suffirait peut-être de demander au patient de se concentrer sur sa respiration et de détendre la musculature de son tronc pendant le mouvement. Les nouvelles approches thérapeutiques telles que la « thérapie fonctionnelle cognitive » démontrent des résultats encourageants et comportent des exemples de stratégies de traitement qui combinent les facteurs physiques, psychologiques et de mode de vie, dans le cadre d’une approche intégrée de la prise en charge de la lombalgie(2).
Références
- Hodges PW, Tucker K. Moving differently in pain: a new theory to explain the adaptation to pain. PAIN. 2011;152:S90-8.
- O’Sullivan PB, Caneiro JP, O’Keeffe M, Smith A, Dankaerts W, Fersum K, O’Sullivan K. Cognitive functional therapy: an integrated behavioral approach for the targeted management of disabling low back pain. Physical Therapy. 2018;98:408-23.
- van Dieen JH, Reeves NP, Kawchuk G, van Dillen L, Hodges PW. Motor control changes in low-back pain: divergence in presentations and mechanisms. Journal of Orthopaedic & Sports Physical Therapy. 2018:1-24.
- Ippersiel P, Teoli A, Wideman TH, Preuss RA, Robbins SM. The relationship between pain-related threat and motor behavior in nonspecific low back pain: a systematic review and meta-analysis. Physical Therapy. 2022;102.
- Ippersiel P, Preuss R, Kim B, Giannini C, Robbins SM. Pain catastrophizing and trunk co-contraction during lifting in people with and without chronic low back pain: A cross sectional study. Eur J Pain. 2025 Feb;29(2):e4717. doi: 10.1002/ejp.4717. Epub 2024 Aug 24. PMID: 39180392; PMCID: PMC11671318.
- Ippersiel P, Preuss R, Wideman TH, Robbins SM. Pain-related threat and coordination in adults with chronic low back pain during a lifting task: A cross-sectional study. J Electromyogr Kinesiol. 2024 Oct;78:102923. doi: 10.1016/j.jelekin.2024.102923. Epub 2024 Aug 21. PMID: 39208555.
Auteur
Patrick Ippersiel, pht, Ph. D., FCAMPT, récipiendaire d’une subvention OPPQ-REPAR, concours 2019
